Mardi 15 octobre 2019

Compte-rendu de la représentation par Nicolas Raccah :

15 filles, 45 garçons. Une écoute magnifique. Réactions :
– « Moi je voulais vous dire que j’avais quelques a priori en venant, et franchement c’est super enrichissant. Je ne m’étais jamais posé ces questions. »
– « J’ai trouvé intéressant que vous souligniez comment la religion avait été d’abord utilisée pour légitimer le sexisme, puis, à mesure que la science a pris le pas sur le religieux dans nos sociétés occidentales, comment on a simplement changé de méthode en étayant la misogynie sur de pseudo-arguments scientifiques. »
– « Vous êtes un homme, vous citez des textes d’hommes et de femmes, votre pièce s’appelle Les Silencieuses, et ça m’a un peu manqué qu’il n’y ait pas aussi une femme en scène. »
– « Avez-vous trouvé beaucoup de textes anciens d’hommes qui se battent pour les droits des femmes ? »
– « Vous avez abordé les difficultés de parler de sexualité en France à partir d’une certaine époque. Qu’en est-il dans d’autres pays ? Y a-t-il des pays où l’on parle plus facilement de sexualité ? »
– « Quels sont les éléments les plus importants qui signalent qu’on est encore dans une domination masculine aujourd’hui ? »
– « Vous croyez qu’il y a vraiment une liberté littéraire pour les femmes ? J’ai l’impression que les femmes qui écrivent et qu’on lit aujourd’hui, ce sont principalement des femmes qui parlent de discriminations et de harcèlement, et que c’est parce que le sujet est « à la mode » qu’elles sont autant lues, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait des femmes qui écrivent en philosophie ou en mathématiques, si ? ………. »

Après avoir répondu point par point, j’ai constaté que seuls les garçons avaient parlé, et j’ai demandé si des filles souhaitaient prendre la parole.
Silence.
Une enseignante a alors osé témoigner de son propre parcours de femme, éduquée, à l’inverse de ses frères, à toujours bien se tenir, à être sage, et combien cela reste un effort énorme pour elle de prendre la parole en public et de se mettre en avant.
Puis deux filles ont témoigné à leur tour des différences d’éducation dans leurs familles respectives par rapport à leurs frères.
Sans dévoiler leurs récits, je retiens ces mots de l’une d’elles : « C’est quelque chose qui passe par l’inconscient. Beaucoup de personnes se revendiquent féministes et prônent l’égalité comme quelque chose à promouvoir, mais laissent passer, dans leur comportement de la vie commune, des inégalités dont elles ne se rendent pas compte. »

Ultimes dialogues avec des garçons :
– « Je ressens une sorte de culpabilisation des hommes et de notre héritage masculin par certains mouvements féministes. »
[Ma réponse : ] Personnellement personne ne m’a culpabilisé. C’est en entamant cette traversée des textes anciens que la domination masculine m’a sauté au visage. Dans un premier temps je me suis senti spontanément coupable de ne pas en avoir pris conscience plus tôt, et ce sont des femmes, à commencer par ma compagne, qui m’ont tendu la main pour que je m’extirpe de cette culpabilité dans laquelle je stagnais. Alors j’ai pu commencer à travailler sur ces réflexes dont j’ai hérité en tant qu’homme, j’ai commencé à observer ma manière de me comporter, j’ai traqué en moi certaines habitudes dont je n’avais pas conscience, et dans lesquelles je ne reconnaissais plus désormais l’homme que je me sentais être. Ça a déplacé mon masculin. Ça ne l’a pas gommé ni émasculé : ça l’a ancré ailleurs, sur des bases plus solides. Tu l’as vu dans le spectacle, les femmes ont des raisons d’être en colère. En tant qu’homme, mon réflexe sera peut-être de les accuser de me culpabiliser mais ça me paraît un peu facile comme réaction. Je veux dire que je suis aussi responsable de ce sentiment de culpabilité que je ressens. C’est moi qui décide de me sentir coupable et d’en rester là en gueulant sur ces femmes « méchantes », « castratrices », etc. Je suis libre aussi de faire le choix d’écouter ce qu’elles me disent, de réfléchir à ce qu’elles ressentent, d’entamer une recherche sur ces inégalités qu’elles nomment. Si je fais ce travail de conscience, alors mon comportement va nécessairement changer, et je pourrai accueillir la colère féministe comme un cadeau que ces femmes me font, parce qu’elles me permettent de penser mon masculin, et de l’enraciner ailleurs que sur des privilèges infondés et sur une virilité figée qui prétend qu’on la culpabilise.

– « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, une femme doit faire la même chose qu’un homme. C’est comme si on ne pouvait plus s’aider l’un.e l’autre. Comme s’il était obligatoire que les deux parents éduquent les enfants à l’identique. Ça me paraît insuffisant qu’on égalise totalement l’homme et la femme, parce que l’amour c’est aussi pouvoir aider et protéger l’autre. On a des différences. Moi je voudrais à la fois de l’égalité et de la différence. »
– [Ma réponse : ] J’entends ce que tu dis, mais je t’appelle à faire attention à l’essentialisation des sexes. Ce n’est pas parce que tu es un homme que tu seras toujours nécessairement protecteur de ta femme dans le couple. Il se peut que tu aies envie qu’elle te protège, elle-aussi. (Je pars de l’idée d’un couple hétéro, mais la question se pose aussi dans les couples homo.) Dans cette différence que tu nommes, les rôles pour moi ne doivent pas être prédéfinis. Certains couples se sentent très à l’aise dans les assignations genrées : la femme s’occupe des enfants et de la cuisine avec un réel plaisir, l’homme gagne plus d’argent et se donne à fond dans son boulot. Ils peuvent être tentés alors de dire : « C’est naturel », mais si ça se trouve quelques mois plus tard elle aura envie de penser un peu plus à sa carrière professionnelle, et lui en aura ras-le-bol de ne jamais voir les enfants. Alors quoi ? Ils se sentiront dénaturés et lutteront sans rien dire contre leurs ressentis ? Tu peux à tout instant discuter avec ta compagne ou ton compagnon, et définir les tâches pour lesquelles chacun.e se sent le plus à l’aise. Si ça se trouve tu seras plus casanier qu’elle, ou tu auras plus envie de paterner votre enfant. Ce n’est pas parce que tu es un homme que tu dois déprécier ces tâches que tu apprécies. Et puis tu peux aussi, le mois suivant, en avoir marre de ces tâches-ci, alors vous vous parlez et vous redéfinissez les choses. Il ne s’agit pas de gommer les différences entre vous, mais de ne pas les essentialiser à partir de vos genres.

Représentation devant les étudiant.e.s de TELECOM PARIS.