Représentation des Silencieuses au Lycée Lakanal (SCEAUX)

ÉLÉMENTS DU DÉBAT-DISCUSSION DU COMÉDIEN AVEC LES ÉLÈVES
(Il s’agit d’élèves de PREMIÈRES)

F1 – Personnellement j’avais pas mal d’appréhension au début. J’avais peur de ne pas accrocher. Mais en fait j’ai beaucoup aimé la tournure.

F2 – Moi je voudrais vous dire merci parce que… (larmes)

H1 – Moi aussi j’ai pleuré. J’ai trouvé le spectacle assez bouleversant. Je suis quelqu’un qui a du mal à pleurer pourtant. Ça m’a vraiment touché. L’approche érotique au début m’a paru intéressante. Je n’ai jamais étudié de textes érotiques et je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Et je n’ai pas été du tout déçu. Les textes sont très beaux, ils m’ont touché. Ce qui ressort aussi de ça, c’est une grande culpabilité. Je ne parle pas seulement en tant qu’homme. On va dire que je ne suis pas entièrement homme. Par cette espèce de double genre que je possède, j’ai senti à la fois de la culpabilité et de la colère. D’un côté la culpabilité du genre masculin, de l’autre la rage du genre féminin, et des deux côtés il y avait une certaine tristesse, à la fois d’avoir subi et d’avoir fait subir. En fait on réfrène une partie de nous. On repousse une part de nous. On parlait de faire taire les femmes, mais en fait nous faisons taire aussi notre féminité, et ça nous limite.

N – Je suis d’accord avec toi. On a déprécié les femmes, et on a déprécié, au sein du clan mâle, les hommes moins « virils ». C’est-à-dire qu’il faut toujours qu’on se sente plus fort que quelqu’un pour nous sentir être. On ne regarde jamais ce que ça veut dire, « être un homme » : on ne se pense QUE par comparaison, en dévaluant l’autre pour redorer notre blason. Mais si on regarde à l’intérieur de nous, qu’est-ce qu’on voit ? On ne le fait pas. Ou très rarement. Pourtant nous ne sommes pas QUE virils. Ce serait infernal si on était tout le temps « de vrais mecs », toujours actifs, toujours dominants, toujours pénétrants. Elle est épuisante et aliénante, cette virilité. La semaine dernière, un étudiant m’a accusé d’inciter à la haine des hommes. Je peux comprendre que, quand on découvre cette histoire qui est la nôtre, on se sente coupable pendant un temps, simplement parce qu’on n’en avait pas pris conscience auparavant. L’histoire de la domination masculine EST horrible à regarder en face. Mais à partir du moment où j’en prends conscience, je m’aperçois que je suis libre de changer les choses. Je suis responsable. Je ne suis pas voué à me culpabiliser toute ma vie : il ne tient qu’à moi de bouger de manière à ce que, dans ma famille, dans mon couple, dans mon cercle d’amis, dans mon entreprise, les choses changent. Dès lors que je vois l’injustice, j’ai la possibilité de la changer, au moins à mon petit niveau. Tant que je ne la voyais pas, c’était bien pratique, c’est sûr, parce que je pouvais me reposer sur mon ignorance. Ce spectacle n’appelle pas à haïr les hommes : il essaye de vous ouvrir les yeux et les oreilles. La haine que vous ressentez, c’est celle que beaucoup de femmes ont pu ressentir face à des hommes qui refusaient d’entendre. Maintenant que vos yeux sont ouverts, vous allez pouvoir changer le monde. Et c’est en le changeant que vous quitterez la culpabilité.

H2 – Moi j’ai vraiment été touché par votre spectacle. Surtout quand vous chantiez. Je suis très sensible à la musique, et quand vous preniez votre voix sévère, pour énoncer « la doxa », ça m’a permis de prendre conscience que tout ce qu’on entend, tout ce qu’on étudie, c’est surtout énoncé et pensé par des hommes. Et ce que les femmes voudraient exprimer, parfois elles n’ont même pas les mots pour le dire, du fait de cette tradition masculine. Je trouve ça dur.

N – Actuellement, il y a un gros travail sur la re-féminisation des noms de métiers, qui ont été masculinisés au XVIIème siècle.

Prof – Je pense également à l’écriture inclusive. Elle génère énormément de résistance, y compris chez les femmes, y compris chez les profs, par exemple des considérations pseudo-esthétiques, ou que ce serait trop difficile à lire. Mais c’est surtout que ça secoue les habitudes ! Tant que la langue sera masculine, les esprits seront masculins.

F3 – J’ai été très touchée par les textes que vous avez choisis, en particulier par les poèmes de femmes lesbiennes. Et par le texte de Taslima Nasreen. J’ai trouvé très intéressant que vous renversiez les rôles à la fin pour qu’on imagine ce que serait un monde inversé, mais j’ai trouvé dommage que ça finisse comme ça parce que le public s’en va avec l’image d’un monde qui n’existe pas.

N – Je comprends et te remercie. C’est très pertinent.

H3 – C’était un très beau spectacle. Mais je ne comprends pas qu’on culpabilise sur le passé : le passé est passé, on ne peut rien y faire. Ça me donne envie surtout d’agir pour le présent et le futur.

F4 – Entre les poèmes de femmes écrits pour des hommes et les poèmes de femmes écrits pour des femmes, est-ce que vous avez senti une différence dans l’expression des sentiments et du désir ?

N – J’ai constaté que les femmes lesbiennes étaient les pionnières pour mettre des mots sur leurs désirs. Sinon, dans la teneur même, je n’ai pas senti de différence, mais mon avis n’implique que moi.

F5 – Après toutes les recherches que vous avez faites, vous n’avez jamais eu envie d’écrire vous-même un poème érotique ?

N – Bonne question. J’y ai pensé, mais je ne l’ai jamais fait.

Prof 2 (de philo) – Aujourd’hui, un homme qui écrirait un poème érotique sur une femme, pensez-vous qu’il écrirait de la même façon qu’un homme du passé ? Comment érotiser l’objet de son désir tout en lui conservant une subjectivité ?

N – Il y a des poèmes magnifiques, aussi bien chez Sappho il y a 27 siècles, ou au XVIème siècle, où on sent, en les lisant, que l’objet du désir est vraiment à part entière une personne, un sujet. C’est ce qui m’a tant plu. Dans les poèmes qui objectalisent l’autre, je sens que cela réveille tout autre chose en moi. Donc de nos jours, je dirais que je dois être suffisamment conscient de notre Histoire avant de me contenter de l’objectalisation.
[À la jeune fille qui pleurait au-début] J’ai envie de revenir vers toi pour vérifier si tu as envie de dire quelque chose ?

F1 – Juste que ça fait du bien d’entendre cette histoire. Ça m’a beaucoup touché. Encore merci.