Jeudi 14 novembre 2019

Quelques réactions à l’Université de Genève :

Un jeune homme en pleurs : « Merci de votre patience…», nous glisse-t-il tandis que les sanglots l’empêchent de continuer. Françoise, qui co-organise la soirée, lui sourit : « Tu sais, on a attendu plus de 2000 ans, on peut attendre que les larmes d’un homme s’apaisent. »

Une spectatrice : « J’ai apprécié que votre spectacle soit très construit : des séquences, des respirations, un vrai sens de la mise en scène. On est avec vous et on ne voit pas passer le temps. Ce qui m’interpelle, c’est que je transmets malgré moi ces injonctions à mes enfants. C’est un travail de longue haleine de s’extirper de ce carcan. »

Plusieurs jeunes femmes féministes émettent des bémols qui me parlent et permettent d’ouvrir la réflexion :
« Je comprends votre spectacle : on voit la difficulté qu’il y a pour un homme à prendre conscience de sa position de dominant. Mais je voudrais rappeler que prendre conscience de sa position de dominée, c’est encore pire.»

« J’aurais souhaité que vous insistiez sur l’importance d’écouter les femmes, et sur le fait que finalement ce sont des femmes qui vous ont permis d’ouvrir les yeux. »

« Les hommes ont tellement parlé depuis des millénaires. Avant de les laisser raconter leur prise de conscience, ce serait important qu’on laisse parler les femmes, ainsi que les personnes non-cisgenres. »

La discussion a alors porté sur la légitimité de la parole. La parole doit-elle être exclusive ? Les hommes l’ont toujours monopolisée. Doit-on aujourd’hui écouter ce que nous disent les hommes alliés de leur travail de déconstruction, ou vaut-il mieux que ces hommes se taisent, afin d’écouter enfin les femmes ?

À la fin de la soirée, un monsieur vient me trouver : « C’est ma femme qui m’a emmené là. Je ne lui ai même pas demandé ce qu’on allait voir. Tout ce qui me permet de réfléchir, ça m’intéresse. Alors quand j’ai été assis et que vous êtes entré dans la salle, je me suis dit : au fait c’est quoi ce spectacle ? Je suis arrivé à poil, sans a priori, et ça a été vraiment un grand plaisir. J’ai marché avec vous. Vous m’avez partagé vos découvertes. Et je reconnais que le fait que vous soyez un homme a permis que je vous écoute sans me mettre sur une position défensive. Je me suis senti tranquille dès le départ, et ça m’a permis de recevoir tout ça. Durant le dernier tiers du spectacle, je me disais : Nom d’un chien, j’ai 65 ans, mon cerveau sait tout ça, l’égalité, le respect, l’ouverture, me nourrir de tout ce que les femmes peuvent m’apporter, mais dans ma boîte à émotions, j’ai senti tellement de tiraillements ! J’ai réalisé qu’on m’a trempé là-dedans quand j’étais petit. Aujourd’hui j’avance, mais le tatouage ne part toujours pas. Je ne suis pas encore nettoyé de tout ça. Ce soir, ce que je sais, c’est qu’il y a une nouvelle pièce qui a été éclairée dans ma maison, et cette pièce, je me réjouis de prendre le temps de la découvrir. Je me suis rendu compte qu’il reste des équivoques dans mes attitudes, et que je peux peut-être me comporter différemment, en particulier avec mes collègues de travail. Toute la règle du jeu, qui me semblait naturel quand j’avais 20 ans, est en train de changer. Alors je me dis : sois dans le coup ! »

Représentation des Silencieuses à l’Université de Genève (Bastions)