Vendredi 4 décembre 2020 matin

Représentation des Silencieuses au Lycée Philippe Lamour (Nîmes)

DISCUSSION AVEC LES ÉLÈVES

Il s’agit de Classes de Premières et de Terminales Théâtre.

H1 – Au moment des scènes les plus violentes, j’ai eu mal au cœur. De me dire que cette situation perdure, par exemple quand j’entends parler de ces hommes qui frappent les femmes, de ceux qui se frottent aux femmes dans les trams. Ça me fait mal.

N – Est-ce que tu l’avais déjà, cette conscience ?

H1 – Oui.

N – Il y a plus de 150 féminicides par an en France. Le confinement a été une horreur pour énormément de femmes enfermées avec des hommes violents. Jusque-là je n’étais pas sensible à tout ça. Je me disais « On est en France, en 2020 », etc. Ça te donne une envie, en particulier ?

H1 – J’aimerais pouvoir faire qqch. Si je vois une femme se faire agresser ou harceler, la seule chose que je peux faire, c’est réagir.

N – Il y a un cheminement qui est en train de se faire en toi.  Tu peux faire des émules. Si tu évolues, tu vas nécessairement déplacer quelque chose chez les autres, vos sujets de discussion vont évoluer dans ton cercle d’amis, donc tu vas faire bouger les gens autour de toi. 

H1 – Par expérience, je fais souvent des blagues déplacées. Je faisais par exemple des blagues sur le cancer, et puis un jour j’ai lu un livre sur le cancer, et ça m’a littéralement calmé.

N – Oui je crois que la conscience change tout. 

F1 – A la fin du spectacle, vous inventez un pays inversé, et même moi, je ne voudrais pas habiter dans ce pays où les femmes domineraient. C’est horrible, c’est inhumain.

N – Je suis content que tu y sois sensible. Qu’est-ce qui est inhumain ?

F1 – Qu’un genre soit plus élevé, considéré comme plus valable que l’autre. Même si ce pays existait, je ne voudrais pas y vivre.

F2 – Moi, ça a fait écho à plusieurs choses. Au début je me suis rendue compte qu’on privait les femmes de parole, et c’est encore présent dans la société d’aujourd’hui. Par exemple quand on parle du plaisir féminin, c’est encore assez tabou. La pub Nana avec des sexes féminins représentés a été interdite. Le clitoris n’est toujours pas représenté dans la plupart des livres de SVT.  Et le pays inversé, à la fin, c’est ce que les féministes essayent de faire comprendre : on n’est pas pour que les femmes soient supérieures aux hommes, mais pour l’égalité. On associe les féministes à l’idée d’une dictature qui voudrait renverser le pouvoir masculin, mais c’est l’égalité qu’on demande.

F3 – Moi, j’ai ressenti par moments beaucoup de colère : envie de remonter dans le temps et de me battre, de dire « Ho, réveillez-vous ! C’est de la merde, ce que vous dites ! » J’ai eu des enseignantes qui m’ont répété que le mot « autrice » n’était pas français. Les auteurs qu’on étudie en classe ont souvent écrit des textes sexistes. Ça met beaucoup de colère en moi. Je trouve que l’égalité n’en est qu’à ses débuts, qu’on peut aller plus loin.

F4 – J’ai l’impression qu’on nous met en permanence la pression, en tant que filles, pour que nous fassions tout notre possible pour qu’il y ait plus d’égalité. Moi personnellement, ça me fait un peu mal.

N – Ce « on » que tu évoques : c’est une pression qui viendrait d’où ?

F4 – Peut-être de toutes les personnes qui disent « Les femmes ont le droit d’obtenir de hauts postes » : j’ai l’impression qu’elles me disent que je dois désirer arriver à un poste très haut, alors que ce n’est pas forcément ce que je désire. Parfois j’ai l’impression qu’on me pousse à quelque chose que personnellement je ne désire pas.

N – C’est intéressant que tu le ressentes comme ça. Il me semble que la lutte vise surtout à étendre le champ de nos libertés respectives. C’est vrai que si ça devient une injonction, ça n’a pas de sens. C’est une voix qui est plus difficile à entendre actuellement, et je peux comprendre que ce soit douloureux : c’est comme si on ne te faisait pas le crédit de raisonner par toi-même à cet endroit-là.

F5 – Pour beaucoup c’est la première pièce que nous voyons de cette année scolaire, et je trouve ça génial que cette première pièce soit sur un sujet aussi intime et universel. Merci de faire la démarche de venir ainsi dans des lycées.

F6 – Moi je ne m’y attendais pas du tout, et j’ai beaucoup aimé. Vous êtes seul sur scène, une chaise, un tabouret, vous changez de personnages, vos transitions sont super bien faites, l’expression corporelle est incroyable, j’ai adoré les différentes langues. J’ai eu aussi beaucoup de frissons quand vous avez crié : c’est comme si vous aviez exprimé le cri que je ressentais au même moment en tant que spectatrice. Et j’ai beaucoup aimé quand vous parlez sans qu’aucun son sorte de votre bouche. Et puis votre mémoire. Bravo, c’était vraiment super.

F7 – Moi, en tant que femme je ne m’étais jamais rendue compte de tout ça, de la parole interdite aux femmes d’un siècle à l’autre. J’avais toujours pensé, depuis toute petite, que ce qui m’oppressait dans la relation garçons-filles était normal. Je pensais que c’était naturel aux garçons, naturel aux filles, qu’on marche sur des routes différentes. Que c’était normal, quand on essaye d’expliquer un truc à un garçon, qu’il nous dise « t’es chiante, ferme ta gueule, sale pute », comme si c’était leur façon normale de fonctionner. Je ne me rendais pas compte de l’impact que ça avait sur tout.

N – Ce sont les textes du passé que je cite qui t’ont fait prendre conscience de l’Histoire ?

F7 – Oui. Le fait qu’on ait réduit à néant la femme, qu’elle soit toujours passée pour monstrueuse, que sa parole passe toujours pour infondée, nulle, etc.

N – Il n’est pas dans la nature du masculin d’être dans cet irrespect. Vous n’avez pas de raison de vous habituer à des hommes comme ça. Il va falloir qu’ils changent, ou que vous vous intéressiez à des hommes différents. Et ce n’est pas à vous de faire leur éducation : vous n’êtes pas leurs mères. Il est fondamental que ces hommes changent.

F8 – Pendant tout le spectacle j’étais super énervée. Ce qui m’a le plus énervée, c’est de prendre conscience que c’est comme ça depuis des millénaires, alors que je trouve ça inconcevable de vivre sans pouvoir m’exprimer.

N – Est-ce que tu as l’impression de pouvoir t’exprimer maintenant ?

F8 – Je me trouve assez libre, oui, mais je sais que c’est grâce à toutes ces femmes qui se sont rebellées.

F9 – Moi j’ai beaucoup aimé votre spectacle, mais quand je lis des textes féministes, quand je vois des vidéos féministes, je constate que j’ai du mal à me sentir concernée parce que personnellement je n’ai jamais été agressée, ou empêchée de parler. Du coup je comprends ce que ces femmes ressentent, mais j’ai du mal à être touchée.

N – Et ça te fait quoi de ne pas te sentir directement concernée ?

F9 – Je me dis qu’il y a un problème, et en même temps, du fait que ça ne m’est jamais arrivé, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de problème. Du coup ça m’est peut-être plus difficile de m’impliquer. J’essaye de me renseigner au maximum pour me faire mon propre avis, voir ce avec quoi je suis d’accord ou pas d’accord. Mais en moi je n’ai pas cette rage.

N – Il n’y a pas d’obligation à la rage. Mais je trouve ça intéressant que toi qui ne l’a pas vécu, tu te renseignes sur ce que les autres ont vécu. Tu as l’impression que ça vient de ton éducation ?

F9 – Oui évidemment. Mes parents m’ont toujours éduquée à égalité avec mon frère. J’ai la chance de n’avoir jamais eu d’expériences traumatisantes.

F5 – Je voudrais parler de la galanterie. Vous n’en parlez pas. On a inventé la galanterie pour relever le niveau. Ce n’est pas forcément qqch que j’aime : on aide les femmes comme si elles n’étaient pas capables de s’aider elles-mêmes. Un jour j’étais en colère contre un homme très énervé contre moi qui m’a dit : « T’as de la chance parce que je ne frappe pas les filles. » À ce moment-là, j’avais une seule envie, c’est qu’il me frappe, pour qu’il comprenne que je peux me défendre moi-même. Si je n’avais pas été une femme, il m’aurait frappée. Donc il me discriminait positivement, et il sous-entendait que je n’étais pas assez forte.

H2 – Moi j’ai été particulièrement touché par votre témoignage de la perte de votre naïveté : vous pensiez trouver plein de textes érotiques de femmes, et vous comprenez pourquoi il n’y en a pas eu plus. J’étais dans cette optique en lisant votre note d’intention : je trouvais ça chouette, on allait passer une matinée légère, et en fait vous soulevez qqch de beaucoup plus lourd, de vraiment choquant. Je ne m’y attendais pas du tout mais je suis ravi d’avoir été confronté à ça.

N – « Confronté ». Effectivement l’endroit auquel je vous amène est confrontant. C’est aride, sec, cassant, et c’est notre histoire. Qu’est-ce que je fais de cet héritage que je confronte. C’est la pomme au bout de la branche que se dit « Il est trop crade, mon arbre, je ne m’y reconnais plus, sauf dans ces petites racines là-bas : c’est elles que je vais irriguer. » C’est ça que je peux faire : apprendre à mon fils d’où nous venons, irriguer avec lui telles racines, et participer à couper les autres.

H3 – Je pense que nous faisons partie d’une génération où la prise de conscience est maximale. C’est à partir de nous et de nos enfants que les choses vont véritablement changer.

N- Chaque génération est nécessaire pour faire avancer l’édifice.

F10 – J’aime bien l’idée que vous jouiez ce spectacle devant toutes les générations et que cela fasse réagir les hommes. Donner à entendre ces hommes, c’est les décrédibiliser, car la bêtise de leurs propos se dénonce d’elle-même.