Vendredi 4 décembre 2020 après-midi

Représentation n°7 des Silencieuses à l’Institut Emmanuel d’Alzon (NÎMES)

DISCUSSION AVEC LES ÉLÈVES

(Il s’agit de Classes de Prépa ATS : 35 élèves dont environ 27 garçons.)

H1 – On n’a pas l’habitude de nous parler comme ça. Ce n’est pas forcément facile à suivre mais ça force l’ouverture d’esprit. Par moments j’ai décroché, mais ça m’arrive aussi dans la vie de tous les jours [rires], et à chaque fois que je décrochais j’arrivais ensuite à raccrocher, donc ça va.

H2 – J’ai bien apprécié la chronologie. C’est un sujet important en ce moment : il faut que la femme s’impose.

F1 – J’ai adoré. Particulièrement le fait que vous nous ayez expliqué en amont de quoi vous alliez parlé. Également la fin, avec le renversement d’une société dirigée par les femmes. J’ai aimé tout le fil rouge central. Par contre j’ai l’impression de m’être faite un peu arnaquer parce que notre prof nous avait annoncé des « récits érotiques de femmes », et j’ai vu une pièce féministe…! Non je rigole : ça m’a énormément plu, en réalité !

N – Oui j’assume cette « arnaque ». Si j’avais trouvé plein de textes érotiques de femmes, je ne sais pas si je me serais senti pleinement légitime à être seul en scène pour les dire.

F1 – Oui c’est ce que je m’étais dit. Mais au final, bravo pour votre démarche de remise en question.

N – Ça t’a fait quoi ?

F1 – Ça fait plaisir ! Je sais qu’il y a beaucoup d’hommes dans notre classe, et je ne sais pas s’ils se rendent vraiment compte. C’est criant de vérité en fait, le fait que la femme soit bridée, muselée, je l’ai ressenti, et je le ressens encore dans certains domaines.

Prof – Moi je fais la remarque qu’il y a des femmes dans cette classe. Quand on a commencé la section, il n’y en avait pas. Je trouve ça extraordinaire : c’est très bon signe.

N – J’ai eu le même témoignage à Télécom Paris. Ça bouge : des petites filles envisagent de devenir ingénieures, techniciennes…

H3 – On a des milliers d’années influencées beaucoup par les hommes. Je trouve que les choses sont en train de changer, et qu’on ne souligne pas assez certaines choses qui sont faites par des hommes pour des femmes.

H4 – Déjà, c’était pas ennuyant. Et moi je trouve que c’est une bonne chose que vous soyez seul en scène. Est-ce que vous croyez que cette égalité HF va arriver ?

N – Je crois qu’on est en train d’avancer vers de plus en plus d’égalité de droits. On va commencer à s’interroger de plus en plus sur le masculin. Prospecter dans des zones encore inconnues. On va s’ancrer mieux dans le masculin, plutôt que de se crisper sur nos prérogatives. C’est comme un massage sur des tensions qui nous viennent du passé, et qui continuent à nous traverser. On peut respirer à cet endroit.

H6 – Quand on a un enfant, un homme a une baisse du taux de testostérone. Moi j’ai des grands-parents résistants communistes. Tout le monde s’est battu dans ma famille, et l’égalité HF elle était évidente. Quand ma grand-mère s’est syndiquée, le syndicat a appelé mon grand-père parce qu’ils étaient choqués qu’une femme se syndique. La banque a appelé mon grand-père parce que ma grand-mère voulait tirer de l’argent sur son propre compte en banque à elle. J’ai eu la chance de grandir avec l’évidence de l’égalité. Mais je me suis confronté à un « féminisme 2.0 » sur les réseaux sociaux, qui cherche juste à faire taire les hommes et refuse tout dialogue. J’ai fait un commentaire qui m’a valu du harcèlement. J’ai juste dit à une femme que j’étais d’accord avec ce qu’elle disait, et elle a répondu qu’elle n’en avait rien à foutre que je sois d’accord. J’ai essayé de développer ma pensée, mais elle m’a dit de la fermer. Du coup je ne sais pas si on avance vers plus d’égalité.

N – Tu n’es pas le premier à me faire ce type de retour.

H6 – Oui ça m’a rendu triste.

N – J’entends. Est-ce que tu peux te dire que la femme qui est en train de se déchaîner sur toi sur tel réseau social, ce n’est pas toi qu’elle vise ? Peut-être a-t-elle eu une expérience extrêmement négative des hommes.

H6 – Oui c’est « l’homme » qu’elle vise, pas moi.

F1 à H6 – Je voudrais te répondre. Ce qui t’a fait violence, c’est le fait que cette femme te dise de te taire parce que tu es un homme, c’est ça ?

H6 – C’est à peu près ses mots, oui.

F1 – Maintenant les femmes s’autorisent enfin à parler, et elles se disent entre elles ce qui ne va pas, ce qu’elles ne supportent plus. Si un homme vient ajouter son grain de sel dans la conversation en disant « Je pense que ce n’est pas ça le problème », alors c’est comme s’il parlait à la place des femmes, en leur expliquant ce qu’elles vivent, elles. Mais ce n’est pas lui qui ressent ce qu’elles ressentent. En fait il n’écoute pas vraiment ce qu’elle est en train de dire, il essaye de mettre sa parole à la place de celle de cette femme comme si sa parole masculine avait plus de valeur.

H6 – Je connais ce genre de mecs qui viennent expliquer aux femmes ce qu’elles ressentent. En l’occurrence, j’ai juste dit à cette femme que j’étais d’accord, et elle m’a répondu qu’en tant qu’homme j’avais juste à me taire.

F1 – J’ai envie de te répondre encore. Je pense que ce qu’elle a voulu exprimer, c’est qu’elle n’a pas besoin que tu acquiesces à ce qu’elle dit. Elle n’a pas besoin d’être soutenue ou applaudie par un homme. Juste elle dit ce qu’elle ressent, sans attendre de réponse.

N – Moi je trouve ça passionnant. La distribution des cartes est en train de bouger. Nous avions l’habitude de parler et d’être toujours écoutés. Ce que nous disent ces femmes, c’est : « Peux-tu m’écouter sans rien rajouter du tout à ce que je dis ? » « Mais je dis juste que je suis d’accord avec toi ! » « Oui mais précisément je n’ai pas besoin d’être validée par toi dans mon discours. Il se suffit à lui-même. Je n’ai pas l’habitude de parler, ça me fait un bien fou. » Cet homme va peut-être se sentir nié, rejeté, et c’est passionnant à la fois qu’il fasse l’expérience du silence et de l’écoute, et qu’il réfléchisse pourquoi ce que cette femme lui dit le met tellement en colère. Être un allié, à cet endroit, c’est juste écouter. Je peux habiter l’ombre et le silence en tant qu’homme, sans que cela me castre.

F2 – Merci pour votre pièce. Effectivement l’érotisme n’était pas là, mais ça m’a fait du bien d’entendre un homme pro-féministe. Le problème qu’on a, actuellement, c’est les amalgames et les extrémismes, qui ne touchent pas seulement les milieux féministes. J’ai rencontré très peu d’hommes qui, lorsqu’ils étaient dans l’incompréhension, essayaient quand même de nous comprendre. Bien sûr je ne peux pas être à la place des hommes, ni eux à la mienne. Ce qu’on souhaite, c’est qu’ils nous laissent prendre la parole sans s’en mêler. Parfois, une femme va l’exiger de manière extrême, mais si tu as eu une mauvaise expérience, ne t’arrête pas là.

N – En ce moment, les femmes ont investi un terrain de parole qu’elles n’avaient encore jamais autant investi jusque là. C’est un bel apprentissage pour nous que d’être des alliés. Apprendre à écouter peut être une vertu masculine. Il y a des femmes qui sont infiniment en colère, et pour lesquelles, parce que je suis un homme, je vais représenter l’ennemi. Ce serait trop facile, je trouve, que de me vexer à cet endroit-là, et de refermer mes oreilles à ce que les femmes ont à nous dire. Je vous invite, messieurs, même si vous avez des expériences négatives, à continuer à vous ouvrir et à travailler sur vous.

F3 – C’était vraiment bien ! Votre gestuelle est très communicative. Les flash backs sur ce que vous ressentez, et puis l’évolution de votre compréhension au fil du spectacle, ça m’a fait traverser toutes les émotions : j’ai eu envie de pleurer, j’ai eu des frissons, à un moment donné j’avais envie de hurler pour qu’un des misogynes que vous citiez se taise. C’est super important de montrer ça dans des établissements scolaires. C’est le sujet d’aujourd’hui, et il faut que ça touche les plus jeunes.

H7 – Moi ça m’a mis profondément en colère. Je me suis dit « comment on a pu en arriver là ? » Est-ce que c’est venu de la sensation qu’on était plus forts physiquement, et qu’on a monopolisé l’instruction pour avoir aussi l’avantage intellectuel ? Par rapport à la sexualité, la peur qu’on peut avoir de ne pas être suffisamment viril, je pense qu’elle vient directement du fait qu’on a interdit aux femmes de prendre la parole. Parce qu’on ne sait pas ce qu’elles pensent, et qu’on a peur qu’elles se vengent de nos abus. Je viens aussi d’une famille ouvrière, et j’ai réalisé en écoutant cette histoire que j’ai moi-aussi des comportements qui ne sont pas vraiment acceptables. Ce ne sont pas des comportements violents, je respecte les femmes, mais c’est vrai que j’ai tendance à rigoler de beaucoup de choses. Et là, je me dis que, quand je vois le passé, je ne dois plus rigoler de certaines choses. C’est trop important. Là, je n’ai plus envie de rire. C’est impossible.

N – Je te sens touché, et ça me touche beaucoup.

H7 – J’aime bien tout comprendre, et c’est une des choses que je ne comprenais pas, que je ne voyais pas. J’aime être logique, et je me rends compte qu’il n’y a aucune logique à faire des blagues comme ça. Merci. C’est mon caractère de travailler un peu sur tout, et là je réalise que je n’ai pas du tout travaillé. Et ça a vraiment réveillé de la colère.

N – À partir du moment où toi, homme, tu commences si jeune à déplier ça, ça va changer des choses chez les autres, à commencer par ton cercle d’amis. On a tout à gagner

H8 – Moi je voulais juste vous dire un truc : à la base je ne voulais pas venir, et je ne regrette pas d’être venu. Je ne suis pas irréprochable sur le sujet, et c’était positif : ça m’a surpris. Franchement continuez.