Deux représentations du spectacle Les Silencieuses au Lycée Fulbert de Chartres
DISCUSSION AVEC LES ÉLÈVES
F1 – J’ai beaucoup aimé parce que en tant que femme, on se rend compte de ce qu’on n’a pas. Quand vous imaginez un monde à l’envers, ça fait comprendre ça aux autres personnes.
N – C’est en t’imaginant une société différente que tu as pu te représenter comment notre société fonctionne ?
F1 – Oui.
Prof – Tu as le sentiment d’être privée de choses parce que tu es une femme ?
F1 – Oui. Pas le droit de dire des choses, oui.
N – C’est qqch dont tu avais conscience ?
F1 – Oui. Du coup ce serait bien que les hommes en prennent aussi conscience.
N – Dans ce monde inversé que j’imagine à la fin du spectacle, qu’est-ce qui vous est apparu le plus ?
H2 – Peut-être qu’au final, si c’étaient les femmes qui avaient la première place, elles seraient meilleures que les hommes. Quand vous avez évoqué cette dernière image d’un monde changé, c’est ce qui m’a traversé l’esprit.
N – Meilleures en quel sens ?
H2 – Les femmes n’auraient pas fait les erreurs des hommes. Enfin j’espère.
N – Tu peux préciser les erreurs que tu évoques ?
H2 – Comme vous avez dit : le fait d’enfermer les femmes, de les mettre en sourdine, de les mettre de côté. Moi j’espère dans mon imaginaire que les femmes n’auraient pas fait les erreurs des hommes. Qu’elles seraient allées plus vite dans le sens de l’égalité.
N – Donc tu aurais espéré qu’elles se rendent compte que dans un système de domination, qqch ne fonctionne pas.
H2 – Oui. Je pense que, comme les femmes donnent la vie, elles se seraient rendues plus facilement compte des problèmes de leurs enfants.
N – D’autres souhaitent réagir ?
H3 – Moi je ne suis pas d’accord. Il imagine que les femmes auraient réagi plus vite. Mais moi je vois vraiment l’égalité entre la femme et l’homme. Si une personne a le pouvoir et que ça la corrompt, que ce soit un homme ou une femme, c’est la même chose. Même si comme lui j’aurais eu l’espoir que ce soit plus rapide, je pense que ç’aurait été pareil.
F2 – Moi je vois l’Humain. C’est l’Homme avec un grand H, femme ou homme. Je pense qu’on ne doit pas partir de l’idée d’un renversement de pouvoir. On peut voir les choses tous ensemble, discuter, comme dans une vraie démocratie, sans imposer. Si les choses se font naturellement, la civilisation peut se développer sans mettre un sexe au-dessus de l’autre.
N – Maintenant comment rêverais-tu l’avenir ?
F2 – Je veux qu’on arrête de parler de sexes tout le temps, femmes, hommes, je veux qu’on parle d’humains, qu’on regarde les idées de la personne, sa valeur, plutôt que son sexe. Qu’on se respecte et qu’on avance ensemble.
N – Est-ce que tu peux imaginer que pour l’instant, parce que ce n’est pas encore devenu normal, on a encore besoin d’en parler ?
F2 – Oui forcément. Que ce soit pour l’égalité ou pour l’esclavage, pour pouvoir avancer il faut en parler. Si on n’en parle pas, personne ne peut avancer.
F3 – Vous disiez qu’en tant qu’homme, vous ne vous étiez pas rendu compte de vivre dans une société patriarcale. Mais même en tant que femme, on ne s’en rend pas toujours compte. Les interdits, les habits. On est petite, on met des robes, on doit être jolie, gentille, on n’a pas le droit d’être sale, de jouer à des jeux violents, tout ça on ne s’en rend pas compte parce que c’est rentré dans les codes.
N – Et lorsque tu t’en rends compte, qu’est-ce qui se passe pour toi ?
F3 – Ben il y a de la colère. Si même nous on a réussi à être manipulées, eh bien des hommes qui auront encore moins de recul auront encore plus de mal pour se rendre compte.
N – Et c’est une colère que tu porterais vers qui ou vers quoi ?
F3 – La société en général.
F4 – Je trouve ça étonnant que des mères de famille aient pu inculquer à leurs filles d’être discrètes et de ne pas se faire remarquer. C’est triste parce que c’est une habitude. Comme l’habitude de s’épiler. Là, leur habitude c’était d’être discrète et d’obéir à «leur» homme. Du coup les femmes avaient encore plus de mal à se démarquer et à sortir de ce système, vu que leurs mères elles-mêmes leur disaient de le faire.
N – Ça me paraît important que tu nommes que ces assignations ne se sont pas transmises uniquement par les hommes mais aussi par les femmes, en particulier de mères à filles. Est-ce que tu as l’impression d’être encore prise dans ces habitudes ?
F4 – Oui. Je pense qu’à peu près chacune d’entre nous s’est déjà fait siffler ou klaxonner dans la rue. C’est devenu banal. Même si on en parle, on sait que ça arrive à toutes ou presque. Du coup c’est devenu une habitude. On se dit que c’est normal, qu’il faut juste l’ignorer, marcher plus vite, qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter vu que ça arrive à tout le monde.
N – Si tu as intégré le fait qu’il faut marcher vite et ne pas réagir, c’est qu’il y a une raison d’être inquiète. Si jamais tu rétorques à ces sifflements, qu’est-ce qui peut se passer ?
F4 – Ben il y a plein d’histoires de femmes agressées, voire violées, et que la police laisse faire. Du coup on se dit que ça ne doit pas être si grave que ça, vu que le gouvernement ne prend pas de plan d’urgence.
N – Donc la société tout entière s’est habituée à cette idée que les autorités ne seront pas toujours de ton côté si tu subis une agression, et on habitue les petites filles à l’idée d’un possible danger. D’où vient-il, ce danger ? Des hommes ?
F4 – Je ne sais pas. De la rue, de partout, même d’un membre de la famille.
F5 – Pour revenir sur les agressions dans la rue, si on se fait siffler par un homme et qu’on lui répond, et si ensuite il nous agresse, quand on va porter plainte, ce sera toujours vu comme un peu de notre faute. Parce qu’on n’aurait pas dû répondre, on aurait dû l’ignorer, on n’aurait pas dû s’habiller comme ça… Lui c’est pas grave, c’est ses pulsions, c’est pas sa faute : c’est un homme.
N – « C’est pas grave, c’est ses pulsions, c’est pas sa faute : c’est un homme. » C’est-à-dire que je suis dédouané de TOUTES mes responsabilités parce que je suis un homme ? Je te saute dessus mais c’est plus fort que moi, c’est normal, je n’ai pas à me contrôler. Du fait que vous éveillez nos désirs, vous seriez totalement responsables de ce qui se passe en nous ?
F5 – C’est ça.
N – Ça réveille de la colère en moi parce que ça signifie que je peux rester une espèce de petit garçon irresponsable durant toute ma vie. Imaginons : si jamais une femme se fait violer, qu’est-ce qui se passe ?
F6 – Elle va être amenée à se taire. En fait elle va comprendre inconsciemment que ça ne se dit pas : c’est des choses qui dérangent. Ce n’est pas la peine de se faire trop remarquer. C’est quelque chose qu’elle va garder en elle. C’est un combat à l’intérieur d’elle. Et puis c’est de la culpabilité : le fait de s’être faite agresser, elle peut penser que c’est de sa faute. Il y a aussi le fait de ne pas être en capacité de le dire : elle se sent nulle. Il y a plein de choses qui se passent à l’intérieur d’elle.
F8 – Pour parler de la parole des femmes par rapport au harcèlement, on a eu un mouvement de libération, #MeToo, et #MeTooInceste. Sur les réseaux sociaux on pouvait beaucoup en parler mais il y avait toujours des gens pour remettre en cause notre version de l’histoire. Donc la censure ne vient pas seulement de nous-même : même si on veut en parler, nous les femmes on a été habituées à nous taire, et on est toujours poussées au silence.
N – Ta camarade nommait l’auto-censure, toi tu décris le backlash qui fait suite à la libération de la parole, et la censure extérieure qui vous est opposée.
F8 – Oui.
F9 – Si on veut dénoncer un viol, il faudrait aller immédiatement à la police pour garder les preuves. Alors seulement on sera entendues. Sinon, sans preuves, on n’est pas entendues.
N – J’entends de la colère.
F9 – Je ressens un peu de colère, oui. Je me demande pourquoi il faudrait avoir des preuves au moment où enfin on se sent prête à parler. On te remet là où tu étais au départ. La société, elle n’aide pas à ce niveau-là.
F10 – Il y a aussi une grande culpabilisation des victimes : « Tu n’avais pas à t’habiller comme ça » ou bien « Tu es sûre que tu veux porter plainte ? Tu sais que ça va détruire sa vie ? » La vie de la victime elle est détruite, mais il ne faudrait pas qu’elle entache l’image de son violeur parce que ça ne fait pas ?
N – Et si elle nomme le violeur, qu’est-ce qui se passe ?
F10 – Soit on ne la croit pas, soit on la culpabilise.
H3 – Les hommes qui osent faire du mal aux femmes parce qu’elles se sont maquillées, ou habillées comme elles voulaient, mais qui ils sont pour les juger, ces dames-là ? Ceux qui commettent des viols, je ne les considère plus comme des hommes mais comme des animaux. Ils doivent être punis par la loi. On les met en prison, on les enterre, on les met sur une île, je ne sais pas. Ils ne méritent pas d’être dans la société : ils méritent d’être dégagés, d’être mis sur le côté.
F7 – Le pire, c’est qu’il y a des hommes qui restent excités sexuellement par le fait de violer. Excusez-moi, j’ai un rire nerveux, mais je crois que ça reste le pire. Pour moi c’est inconcevable de profiter du corps de quelqu’un qui n’a pas envie.
F2 – Il faut que ces personnes se fassent aider, qu’elles demandent de l’aide, qu’elle parlent. C’est trop important d’aller demander de l’aide. D’un autre côté, dans la société, il faudrait aussi faire changer l’image du garçon : le garçon qui ne doit pas pleurer, qui doit être viril, qui doit nourrir sa famille…
N – Et qui ne doit surtout pas demander d’aide… Ça fait hélas partie des assignations masculines.
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